PROPOSITION DE LOI relative à l’aide active à mourir

Publié le par admdtoulon

N° 659
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2009-2010
Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 juillet 2010
PROPOSITION DE LOI
relative à l’aide active à mourir,
PRÉSENTÉE
Par  M.  Jean-Pierre  GODEFROY,  Mmes  Patricia  SCHILLINGER,  Raymonde LE TEXIER,   Annie   JARRAUD-VERGNOLLE,   MM.   Serge   ANDREONI, Jean-Etienne  ANTOINETTE,  Mme  Marie-Christine  BLANDIN,  M.  Yannick
BODIN,  Mme  Nicole  BONNEFOY,  M.  Didier  BOULAUD,  Mmes  Bernadette BOURZAI,  Nicole  BRICQ,  Claire-Lise  CAMPION,  Françoise  CARTRON, Monique  CERISIER-ben  GUIGA,  MM.  Yves  CHASTAN,  Yves  DAUDIGNY,
Jean-Pierre     DEMERLIAT,     Mme     Christiane     DEMONTÈS,     M.     Jean DESESSARD,   Mme   Josette   DURRIEU,   MM.   Bernard   FRIMAT,   Charles GAUTIER,  Didier  GUILLAUME,  Ronan  KERDRAON,  Serge  LAGAUCHE, Serge    LARCHER,    Mme    Françoise    LAURENT-PERRIGOT,    M.    Jacky LE MENN, Mme Claudine LEPAGE, MM. Roger MADEC, Jacques MAHÉAS, Rachel   MAZUIR,   Jean-Pierre   MICHEL,   Gérard   MIQUEL,   Jean-Jacques MIRASSOU,  Jean-Marc  PASTOR,  Bernard  PIRAS,  Mme  Gisèle  PRINTZ, MM. Daniel   RAOUL,   François   REBSAMEN,   Daniel   REINER,   Michel SERGENT, Simon SUTOUR, Mme Catherine TASCA, MM. Bernard ANGELS, Jacques   BERTHOU,   Yannick   BOTREL,   Jean-Noël   GUÉRINI   et   Robert NAVARRO,
Sénateurs
(Envoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale -


EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis quelques années et grâce à quelques évènements médiatiques, notamment l’histoire de Vincent HUMBERT qui a ému la France entière, la question de la fin de vie a pris une ampleur particulière et a provoqué de nombreux débats chargés d’émotion. Ces débats ont permis des évolutions positives. Ils ont notamment conduit notre société à s’interroger sur la place qu’elle  fait  aux  personnes  malades  et  aux  mourants  alors  que  pendant longtemps, en France, comme dans d’autres pays essentiellement latins, on constatait un très grand déficit de la réflexion et de l’action sur la façon de développer la qualité de vie des malades et de répondre à la multiplicité des besoins des patients, souvent dépossédés d’eux-mêmes. 

Ces  débats  ont  également  permis,  grâce  à  la  loi  du  22  avril  2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, de consacrer le principe de l’obstination  déraisonnable  et  le  droit  au  refus  d’un  traitement ;  et  depuis peu,  grâce  à  la  loi  du  2  mars  2010  créant  une  allocation  journalière d’accompagnement d’une personne en fin  de vie, de faire bénéficier d’un congé rémunéré les personnes qui souhaitent accompagner, à domicile, un proche  en  fin  de  vie.  Ils  ont  encore  permis  le  développement  des  soins palliatifs, même si trop peu de personne y ont encore accès aujourd’hui et même si cela ne modifie en rien les tendances lourdes de notre système de santé  et  de  son  financement  qui  privilégie  la  réduction  des  durées d’hospitalisation et la réalisation d’actes lourds - tout le contraire des soins palliatifs !

Aujourd’hui, notre législation permet donc de « laisser mourir », mais elle  refuse  toujours  que  l’on  provoque  délibérément  la  mort,  même  à  la demande du malade. Même si aujourd’hui, la loi prend un compte la plupart des situations, il  reste  toutefois  la  question  des  personnes  dont  l’arrêt  du  traitement  ne suffit pas à les soulager, qui ne souhaitent pas être plongées dans le coma et demandent  lucidement  une  aide  active  à  mourir.  Nous  ne  pouvons  pas laisser  aux  médecins  ni  aux  proches  des  malades  le  poids  d’une  telle responsabilité ;  au  contraire,  nous  devons  l’assumer  collectivement.  Dans un Etat de droit, la seule solution est celle de la loi : une loi visant non pas à  dépénaliser  purement  et  simplement  l’euthanasie  mais  à  reconnaître  une exception  d’euthanasie  strictement  encadrée  par  le  code  de  la  santé publique.  Les  exemples  étrangers,  notamment  belges  et  néerlandais,  nous montrent  qu’il  n’y  pas  à  craindre  de  dérives  si  l’aide  active  à  mourir  est bien encadrée.
Tel  est  l’objet  de  cette  proposition  de  loi  qui,  tout  en  considérant  la gravité  de  cet  acte  dont  les  conséquences  sont  importantes  en  termes d’éthique et de responsabilité, reconnaît à chacun le droit d’aborder la fin de  vie  dans  le  respect  des  principes  d’égalité  et  de  liberté  qui  sont  le fondement de notre République

 

 
PROPOSITION DE LOI
Article 1 er
L’article  L. 1110-9  du  code  de  la  santé  publique  est  complété  par  un alinéa ainsi rédigé :
« Toute  personne  majeure,  en  phase  avancée  ou  terminale  d’une affection  accidentelle  ou  pathologique  grave  et  incurable,  infligeant  une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée et qu’elle juge insupportable,  peut  demander  à  bénéficier,  dans  les  conditions  strictes prévues au présent titre, d’une assistance médicalisée pour mourir. »


Article 2
Après  l’article  L-1111-10  du  même  code,  il  est  inséré  un  article  ainsi rédigé :
« Art. L. ….  – Lorsqu’une  personne  majeure,  en  phase  avancée  ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée et qu’elle  juge  insupportable,  demande  à  son  médecin  traitant  le  bénéfice d’une  aide  active  à  mourir,  celui-ci  doit  consulter  l’équipe  soignante  et saisir sans délai au moins deux autres praticiens pour s’assurer de la réalité de  la  situation  dans  laquelle  se  trouve  la  personne  concernée.  Il  peut également faire appel à tout autre membre du corps médical susceptible de les éclairer, dans les conditions définies par voie réglementaire. 
« Le collège ainsi formé vérifie le caractère libre, éclairé et réfléchi de la  demande  présentée,  lors  d’un  entretien  au  cours  duquel  ils  informent l’intéressé  des  possibilités  qui  lui  sont  offertes  par  les  soins  palliatifs  et l’accompagnement  de  fin  de  vie.  Les  médecins  rendent  leurs  conclusions sur l’état de l’intéressé dans un délai maximum de huit jours. 
« Lorsque les médecins constatent la situation d’impasse dans laquelle se  trouve  la  personne,  et  le  caractère  libre,  éclairé  et  réfléchi  de  sa demande, l’intéressé doit, s’il persiste, confirmer sa volonté en présence de la ou les personnes de confiance qu’il a désignées.« Le  médecin  traitant  respecte  cette  volonté.  L’acte  d’aide  active  à mourir pratiqué sous son contrôle ne peut avoir lieu avant l’expiration d’un délai  de  deux  jours  à  compter  de  la  date  de  confirmation  de  la  demande.

Toutefois,  ce  délai  peut  être  abrégé  à  la  demande  de  l’intéressé  si  les médecins précités estiment que cela est de nature à préserver la dignité de celui-ci.

« L’intéressé peut à tout moment révoquer sa demande.

 

« Les  conclusions  médicales  et  la  confirmation  de  la  demande  sont versées  au  dossier  médical.  Dans  un  délai  de  quatre  jours  ouvrables  à compter du décès, le médecin qui a apporté son concours à l’aide active à mourir adresse à la commission régionale de contrôle prévue à la présente section  un  rapport  exposant  les  conditions  du  décès.  À  ce  rapport  sont annexés les documents qui ont été versés au dossier médical en application du présent article. »

 

Article 3
L’article L-1111-11 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-11.  – Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées  pour  le  cas  où  elle  serait  un  jour  hors  d’état  d’exprimer  sa volonté.  Ces  directives  anticipées  indiquent  les  souhaits  de  la  personne relatifs à sa fin de vie. Elles sont révocables à tout moment.  « À condition qu’elles aient été établies moins de cinq ans avant l’état d’inconscience de la personne, le médecin doit en tenir compte pour toute décision la concernant.

« Dans  ces  directives,  la  personne  indique  ses  souhaits  en  matière  de limitation  ou  d’arrêt  de  traitement.  Elle  peut  également  indiquer  dans quelles circonstances elle désire bénéficier d’une aide active à mourir telle que  régie  par  le  présent  code.  Elle  désigne  dans  ce  document  la  ou  les personnes  de  confiance  chargées  de  la  représenter  le  moment  venu.  Les directives anticipées sont inscrites sur un registre national automatisé tenu par la Commission nationale de contrôle des pratiques relatives au droit de mourir  dans  la  dignité,  instituée  par  l’article  L. 1111-14  du  présent  code. Toutefois, cet enregistrement ne constitue pas une condition de validité du document.

« Les    modalités    de    gestion    du    registre    et    la    procédure    de communication  des  directives  anticipées  à  la  commission  susvisée  ou  au médecin traitant qui en fait la demande sont définies par décret en Conseil d’État. »


Article 4
Après  l’article  L. 1111-13  du  même  code,  sont  insérés  trois  articles ainsi rédigés :
« Art. L. ….  – Lorsqu’une  personne,  en  phase  avancée  ou  terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, se trouve de  manière  définitive  dans  l’incapacité  d’exprimer  une  demande  libre  et éclairée,  elle  peut  néanmoins  bénéficier  d’une  aide  active  à  mourir  à  la condition que cette volonté résulte de ses directives anticipées établies dans les  conditions  mentionnées  à  l’article  L. 1111-11.  La  ou  les  personnes  de confiance  saisissent  de  la  demande  le  médecin  traitant  qui  la  transmet  à deux autres praticiens au moins. Après avoir consulté l’équipe médicale et les personnes qui assistent au quotidien l’intéressé, et tout autre membre du corps  médical  susceptible  de  les  éclairer  dans  les  conditions  définies  par voie réglementaire, les médecins établissent, dans un délai de huit jours au plus, un rapport déterminant si l’état de la personne concernée justifie qu’il soit mis fin à ses jours.
« Lorsque le rapport conclut à la possibilité d’une aide active à mourir, la ou les personnes de confiance doivent confirmer sa demande en présence de  deux  témoins  n’ayant  aucun  intérêt  matériel  ou  moral  au  décès  de  la
personne  concernée.  Le  médecin  traitant  respecte  cette  volonté.  L’acte d’aide  active  à  mourir  ne  peut  intervenir  avant  l’expiration  d’un  délai  de deux jours à compter de la date de confirmation de la demande.

« Le  rapport  mentionné  des  médecins  est  versé  au  dossier  médical  de l’intéressé. Dans un délai de quatre jours ouvrables à compter du décès, le médecin  qui  a  apporté  son  concours  à  l’aide  active  à  mourir  adresse  à  la commission  régionale  de  contrôle  prévue  à  la  présente  section  un  rapport exposant les conditions dans lesquelles celui-ci s’est déroulé.

« À ce rapport sont annexés les documents qui ont été versés au dossier médical en application du présent article, ainsi que les directives anticipées.
« Art. L. ….  – Il est institué auprès du garde des sceaux, ministre de la justice,  et  du  ministre  chargé  de  la  santé,  un  organisme  dénommé “Commission  nationale  de  contrôle  des  pratiques  relatives  aux  demandes d’aide active à mourir”. Il est institué dans chaque région une commission régionale  présidée  par  le  représentant  de  l’État.  Elle  est  chargée  de contrôler,  chaque  fois  qu’elle  est  rendue  destinataire  d’un  rapport  d’aide active à mourir, si les exigences légales ont été respectées.
« Lorsqu’elle  estime  que  ces  exigences  n’ont  pas  été  respectées  ou  en cas de doute, elle transmet le dossier à la commission susvisée qui, après examen,  dispose  de  la  faculté  de  le  transmettre  au  Procureur  de  la République. Les règles relatives à la composition ainsi qu’à l’organisation et au fonctionnement des commissions susvisées sont définies par décret en Conseil d’État.
« Art. L. ….  – Est réputée décédée de mort naturelle en ce qui concerne les contrats où elle était partie la personne dont la mort résulte d’une aide active à mourir mise en oeuvre selon les conditions et procédures prescrites par  le  code  de  la  santé  publique. Toute  clause  contraire  est  réputée  non écrite. »

 

Le dernier alinéa de l’article L. 1110-5 du même code est complété par deux phrases ainsi rédigées :
« Les professionnels de santé ne sont pas tenus d’apporter leur concours à  la  mise  en  oeuvre  d’une  aide  active  à  mourir  ni  de  suivre  la  formation dispensée par l’établissement en application de l’article L. 1112-4. Le refus du  médecin,  ou  de  tout  membre  de  l’équipe  soignante,  de  prêter  son assistance à une aide active à mourir est notifié à l’auteur de la demande.
Dans ce cas, le médecin est tenu de l’orienter immédiatement vers un autre praticien susceptible de déférer à cette demande. »

 

Article 6
Le deuxième alinéa de l’article L. 1112-4 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ils  assurent  également,  dans  le  cadre  de  la  formation  initiale  et continue  des  professionnels  de  santé,  une  formation  sur  les  conditions  de réalisation d’une aide active à mourir. »


Article 7
Les charges éventuelles qui résulteraient pour l’État de l’application de la  présente  loi  sont  compensées,  à  due concurrence,  par  la  création  d’une taxe  additionnelle  aux  droits  visés  par  les  articles  575  et  575  A  du  code général des impôts.

 

texte au format pdf sur http://www.senat.fr/leg/ppl09-659.pdf

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